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Les horreurs qui accompagnent la traite
des noirs ont été maintes fois décrites. La traversée d'Afrique en Amérique
surtout donne lieu à des scènes de cruauté qui font frémir. Il a
été constaté que 25 pour cent au moins des Africains embarqués
périssaient pendant les trajets à cause de la capacité insuffisante des
navires.
Entassés les uns contre les autres, enchaînés deux à deux
par les mains et par les pieds, privés d'air, manquant d'aliments et
d'eau pure, infectés par leur propre déjection, les malheureux noirs
sont atteints d'affreuses maladies:comment alors s'étonner d'une
pareille mortalité ? Plusieurs se suicident de désespoir. D'autres
sont jetés tout vivants à la mer soit lorsqu'ils se trouvent atteints
de maladies incurables, qui les empêchaient d'être vendus, soit
lorsqu'on trouve nécessaire d'alléger le navire, dans une tempête par
exemple; soit enfin, quand le négrier, poursuivi par un croiseur, veut
anéantir toute trace de son crime: dans ce dernier cas, on jette
quelquefois à la mer la cargaison toute entière.
A l'arrivée du
bâtiment en Amérique, il meurt encore, pendant la crise
d'acclimatation 20 pour cent des nègres embarqués, de sorte qu'au bout
d'une année, c'est au plus s'il survit les trois huitièmes des
infortunés arrachés à leur famille et à leur patrie. Alors commence
pour ceux qui ont résisté à ces misères effroyables, une nouvelle
série de souffrance. Le nègre qui dans son pays se livrait à l'insouciance
ou se bornait pour satisfaire aux besoins les plus simples, à
l'exercice de quelques industries faciles, va creuser péniblement la terre,
sous un soleil brûlant, stimulé par le fouet dès que ses forces
épuisées refusent un service inaccoutumé. Voilà pour son corps.
Quant à son âme, le maître l'a reçue inculte, grossière, dénuée
de toute idée religieuse vraie; mais il se garde bien de la tirer de
son état d'ignorance et d'abrutissement, elle deviendrait impatiente du
joug. Nous ne dirons pas les tortures et les supplices infligés aux esclaves
africains, l'exploitation de la femme noire par son maître: nous
renvoyons pour cela aux ouvrages qui nous ont révélé toutes ces
turpitudes, commises cependant par des hommes se disant
civilisés, bien plus, qui osent se prétendre chrétiens.
Enfin, les principes du Christianisme prirent peu à peu le dessus, et
la plaie de l'esclavage, qui ne démoralise pas moins le maître que
l'esclave, commença de soulever la réprobation publique. Ce furent les
Quakers de l'Amérique du Nord qui donnèrent le signal en 1751, où ils
renoncèrent généralement pour tous les membres de leur secte, à
toute espèce de droit sur leurs esclaves.
La traite fut défendue dès 1778 par l'Etat de Virginie, et, en
1780,1787 et 1788 par les Etats de Pennsylvanie, de Massachusetts et
Connecticut.
L'Europe ne resta pas insensible à ces tentatives de réforme. Depuis
longtemps il établit de principe, en France, qu'un nègre esclave
devenait libre en touchant le sol de notre pays: le même droit fut
reconnu en 1772 par l'Angleterre aux esclaves de ses colonies.
En 1787, il se fonda à Londres, sous le nom d'Amis des noirs, une
société abolitionniste qui fit souvent retentir le parlement de ses
pétitions en faveur des esclaves, et l'année suivante, Pitt
présenta à la Chambre des communes un motion pour l'abolition de la
traite.., motion qui fut repoussée. La même année, à Paris, Brissot
organisa, sous le même nom, une société abolitionniste dont
Condorcet, Clavière, Grégoire, Lafayette et Mirabeau furent les
membres les plus actifs.
En 1792, le roi de Danemark, par
son ordonnance du 16 mars, décréta l'abolition de la traite dans ses
colonies à partir de 1803. Moins de deux ans après, le 4 février
1794, la Convention, sur la proposition de Levasseur, de la Sarthe,
décrétait l'abolition même de l'esclavage dans toutes les colonies
françaises. Malheureusement le Consulat rétablit l'ancien ordre des
choses, mesure qui toutefois échoua à Saint-Domingue, et nous coûta,
indépendamment du flot de sang versé, la perte de la plus belle des
grandes Antilles. Quelques années plus tard, l'Angleterre reprit
l'initiative dans la voie de la réforme qui devait aboutir à
l'abolition de l'esclavage des noirs. Le 25 mars 1807, le parlement
proclama l'abolition de la traite, et en 1814, Louis XVIII conclut avec
l'Angleterre un traité répressif de la traite avec la réserve
pour la France de continuer encore pendant cinq années, sous prétexte
d'approvisionner ses colonies, qui n'avaient pu se pourvoir en esclaves
pendant la guerre.
A son retour de l'île d'Elbe, Napoléon supprime la traite sans
restriction , le 29 mars 1915, et Louis XVIII renouvela l'abolition sans
réserve et pour toujours, par un article supplémentaire conclu avec
l'Angleterre le 20 mars 1815 et par l'ordonnance royale du 8
janvier 1817 qui vint confirmer la loi du 15 avril 1818. Cette loi
prononçait la confiscation des navires faisant la traite et
l'interdiction de leurs capitaines.
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